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14 avril 2012 6 14 /04 /avril /2012 21:14

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  (dessin de Victor Hugo pour Gavroche)

 

Il dit que pour lui, les mots ne représentaient rien d'autre qu'un alignement de vermicules noirs sur le papier, que les mots n'étaient rien que de petites coquilles imaginaires, ne retenant rien de  solide dans leurs tenailles. Il dit que les mots n'existaient pas. Comme cette biographie  de sa propre vie qui ne voulait rien dire, qui ne signifiait rien.
Selon lui les mots, comme les phénomènes qui nous entourent, n'existaient que dans la mesure où les gens y croyaient, et la crédulité des gens est incroyablement tenace. Il voyait la nature comme une forêt de mystifications et le sens commun  établi par les hommes comme un vaste bain hallucinatoire.
Et pensait que nos sentiments, nos émotions, n'ont rien avoir avec l'idée que s'en font nos paroles.
Il me parla de ces sportifs accueillis à l'arrivée d'une course et interrogés sur le bonheur de leur victoire.185800-mark-cavendish-devance-ligne-arrivee-1-.jpg
Interrogés au micro sur ce bonheur mérité, préparé, espéré, attendu, partagé par des milliers de spectateurs, les explosions de joie, les cris, la seconde de la victoire, le pied posé sur la ligne. C'est  à  un instant précis que cela se passe, que la tension, le travail, la hargne se soulagent, c'est à cette seconde. 
"Que ressentez-vous en ce moment précis, demande l'interviewer -- micro sous le nez du champion en sueur -- êtes-vous heureux comme les milliers de spectateurs qui nous regardent ?" Et le champion s'applique, de toutes les forces qui lui restent, à exprimer à quel point il est heureux, car enfin c'est maintenant qu'il doit l'être, logiquement.
Tout comme lui, Poucet, fut interrogé en son temps par des hordes de journalistes empressés, au sujet du bonheur de rentrer à la maison. Tout comme il fut sommé de raconter ce que ça fait, à 11 ans, de se retrouver chez soi après un an et demi d'errance.
Et l'enfant eut un succès phénoménal. Photogénique, avec ses grands yeux, son air candide, sa mignonne frimousse.  En effet, il avait grâce au hasard un physique parfaitement adapté au rôle qu'on lui fit jouer à ce moment-là. En primetime tous les soirs durant plusieurs mois, il fit fondre le coeur des ménagères, des vieilles mères, de toutes les femmes du peuple et même de quelques bourgeoises.
A tel point que des intellectuels grincheux soulevèrent une polémique. L'enfant fut soupçonné d'être un acteur professionnel, ce qui était faux -- il me l'a certifié -- mais ce moment servit pour lui de départ à une carrière exceptionnelle. Pourtant, il n'avait rien calculé à l'avance.imagesCA6PGXY0
 Lui, l'enfant spontané, parfaitement à l'aise avec les caméras, modèle de résilience -- peut-être un rien cabotin -- bâtissait mine de rien son destin, son avenir, signant au passage quelques contrats juteux avec l'aval de Virgile et de Chantal, des parents repentants et comblés.
"J'faisais confiance à mon ch'tiot, déclarait  Virgile sur les plateaux, écartant les bras, haussant les épaules.J'savais qu'y reviendrait." Et le public, indulgent pour ce père, l'applaudissait.
Mais savoir ce que ressentait l'enfant à l'instant où on l'interrogeait -- micro sous son petit visage de gavroche -- c'est une autre affaire.
Il me dit qu'il ne ressentait rien de particulier. Qu'il se contentait d'être. Qu'il était déjà semblable à l'homme d'aujourd'hui: actif, vivant, attentif au moment présent.
Sa seule faiblesse : une superstition concernant la lettre V.

 

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